samedi 23 février 2013

...ou comment essayer de se remettre en selle

C'est comme retourner dans un vieux bar, un vieux bureau, un vieil appart', je ne sais pas trop, mais dans tous les cas, j'ai ce soir l'impression de revenir dans une vieille pièce poussiéreuse. Ce genre de pièce que vous avez abandonné depuis des mois, des meubles recouverts de quelques centimètres de poussière, des rideaux tirés, des volets fermés, une vieille ampoule qui clignote et qui sent un peu le brûlé quand on la rallume. On tente de balayer un peu une surface sale du revers de la main, on y soulève un nuage de poussière, on tousse, on a les larmes aux yeux, on est un peu pris au nez et à la gorge, on se demande ce qu'on y fait. Et puis, on regarde la porte, se demandant si on est capable, encore, de remettre la pièce en état. On aurait plus vite fait, certainement, de faire demi-tour, de fermer cette porte à double tour et de penser à autre chose. Et puis, quand on s'apprête à passer le pas de porte, on regarde à nouveau dans la pièce. Et là, on tombe sur quelques vieux souvenirs, qui remémore les espoirs et les sentiments qui ont pu véhiculer dans cette pièce. De vieilles photos jaunies, un vieux manuscrit qui dépasse négligemment d'un tiroir mal fermé, des notes brouilles éparses, des tâches circulaires comme autant de tasses de café bues les soirs où on poursuivait l'inspiration. Et enfin, on se dit que, peut-être... On retire un drap du dossier d'un vieux fauteuil, on le fait rouler jusqu'au bureau et on décide de s'y remettre. Avec l'amertume du plaisir négligé et l'appréhension de ne plus savoir faire.

C'est un peu, ce soir, ce qui m'arrive en décidant, après plusieurs semaines de "j'y vais, j'y vais pas", de rédiger un nouveau billet sur ce blog. Pour donner quelques nouvelles, sur ce qui a été fait, surtout sur ce qui n'a pas été fait. Et voir, si c'est encore possible, pour la suite.

Si vous me lisez encore, welcome back. Excusez-moi pour l'état global de la pièce, c'est poussiéreux et négligé. Promis, on remettra bientôt un grand coup niveau ménage, si vous voulez bien m'aider à reconquérir My Own Private Louisiana. Promis. Sweet Ol' Louisiana.



Alors. Bon. Comment j'ai fait pour en arriver là. Ça va être un peu long, j'espère que vous ne décrocherez pas trop, mais il y a une paire de choses que j'aimerai bien vous avouer, tout au long de ce billet de blog. La première, la plus évidente je pense, c'est que j'ai un chouïa pris l'eau. Je me souviens encore comme si c'était hier : quand j'étais juste hotliner, j'arrivais au boulot, je pointais, je faisais ma journée, je me cassais, et, là, le soir, ma vraie journée commençait. J'écrivais, par plaisir, pour me vider la tête, et j'avais trouvé un assez bon équilibre par rapport à un boulot relativement ingrat et peu intéressant. Les gens gueulaient à longueur de journée à cause de leur serveur en panne ? Qu'à cela le tienne : j'allais, le soir, poser sur papier de belles histoires, des mondes imaginaires et des destins brisés.
Par la suite, au gré de mes pérégrinations professionnelles, j'ai eu la chance de trouver un travail nettement plus intéressant et plus glamour. Je ne vais pas m'en plaindre, bien au contraire, mais je crois que mon entrée dans ce nouveau boulot a mis un peu mon écriture en berne. Il fallait que je sois inventif, créatif, imaginatif, que je percute rapidement, et, le soir, je rentrais chez moi, des discussions de boulot encore plein la tête, à refaire le match des réunions, chercher des plans géniaux pour le lendemain et juste, finalement, avoir le cerveau qui part en roue libre et qui continue de bosser boulot. Comme je vous disais, je ne vais pas m'en plaindre, au final, c'est plus enrichissant dans tous les sens du terme. Néanmoins, c'est vrai que je me suis posé la question, il y a quelques mois, de savoir si je n'allais pas volontairement demander ma rétrogradation de poste pour pouvoir savourer un peu plus mon écriture sur mon temps libre. Repartir sur un boulot passable afin d'avoir un peu plus de temps de cerveau disponible le soir.

Mais bon, jeune, fougueux et têtu, j'ai fait ce que je savais le mieux faire, encore porté par les rushs de fin de deadline : j'ai bourré, bourré, bourré comme un cochon.Au début, ça passait. Plutôt bien, même. Je me rappelle de l'été 2011, alors que j'étais juste en poste dans mon nouveau boulot : les soirs où je ne m'écroulais pas dans mon fauteuil à 19h, je me faisais violence de terminer mes textes. Et, des coups de bourre notables, il y en a eu, notamment à la sortie de Mississippi : afin d'assurer la couverture du jeu, les scénarios pour Di6Dent, Casus Belli et JDR Mag ont été rendus dans des délais assez proches de l'improbable. Mais bon, quelle satisfaction de voir ensuite l'écrit, imprimé sur papier glacé, arriver par la poste ! Quelle reconnaissance de se dire qu'on a obtenu une nouvelle publication. Mais bon, quelle fatigue aussi... Ca a fini par me rattraper.
Les conventions pour Mississippi s'étaient enchaînées en 2011, alors que j'avais déjà pas mal tourné l'année précédente pour faire connaître le jeu. Et toujours d'assez loin, forcément, l'inconvénient d'habiter au Nord de la France. Les nouveaux projets s'amenaient bien, également : Bretteur devait sortir chez Pierregord en 2012, la suite de Mississippi pouvait être mise sur les rails, et, à côté de ça, d'autres choses sont arrivées. L'idée de Saints & Sinners a pointé son nez et les bases se sont posées rapidement, donnant envie de transformer l'essai et de donner un corps au jeu. D'autres idées de roman me titillaient toujours depuis que j'avais participé au défi30-30 (quel supplice d'avoir tant d'idées embryonnaires qui n'attendent que d'être exploitées). D'autres propositions venaient se greffer, comme les 6 cauchemars des XII Singes.

Je crois que c'est ce dernier projet qui m'a mis sur les rotules. Au boulot, fin 2011, contents de moi, mes patrons m'ont donné plus de responsabilités, et si je ne regrette pas forcément de les avoir acceptées, je me rends compte après une année de l'impact au niveau du stress et de la fatigue. Le délai avançait, implacable, pour les 6 cauchemars, et l'inspiration, et pire, l'envie, n'étaient pas toujours au rendez-vous quand je rentrais chez moi le soir, à des horaires loin d'être catholiques. Du coup, à force de rappels de Franck des XII Singes, j'ai fini par rendre le projet à temps, mais, pour la première fois de ma vie, sans satisfaction particulière. Quand j'ai reçu mon exemplaire des 6 cauchemars, je ne l'ai même pas ouvert, à dire vrai. C'était comme au boulot : une deadline était terminée, on pouvait attaquer la suivante, et je me remettais sur un Saints & Sinners qui n'avançait pas assez vite, sur des mécaniques où l'inspiration était de moins en moins présente, tandis qu'à côté, le calendrier de Mississippi 2 commençait déjà sa lente immersion dans le lac. Si bien que mes semaines de congés de juin 2012, qui devaient me servir à assurer un bon gros coup de bourre, m'ont en fait plié mes derniers restes de motivation.

J'ai vivoté, l'été, attendant un nouveau feu sacré, que j'espérais avec la sortie de la Légende du Bretteur qui se battait pour un petit pois. Le livre, écrit en 2010, devait sortir chez Pierregord Edition, et je l'attendais avec une impatience assez folle. Et là, début août 2012, la grosse douche froide : alors que j'avais payé mes exemplaires d'auteur, dont je devais être livré fin août, j'apprends que l'éditeur dépose le bilan et met la clef sous la porte. Il n'y aurait pas de Bretteur. Et accessoirement, je venais gentiment de me faire entuber d'un bon petit millier d'euros. Gros coup au moral s'il en est, que j'ai traîné jusqu'à fin septembre, période un peu noire où l'avancement de Saints & Sinners paraissait minable face à la deadline, et où Mississippi 2 aurait pu passer, mais sans saveur ni plaisir, à grands renforts de "il faut au moins respecter les délais sur un projet, on avisera après".

Je commençais à vivre ça plus comme une gêne qu'autre chose, je n'acceptais plus les conventions, plus le temps, trop fatigué. Mais, pour le boulot comme pour Mississippi 2, je tentais de chercher, vainement, l'inspiration et l'énergie, ceci m'amenant à plusieurs reprises à chasser l'inspiration à 2 ou 3h du matin, sans succès autre que celui des cernes gagnées à la force du poignet. Et ce qui devait arriver arriva : pour les projets en cours, on a fini par me demander si j'allais être capable de rendre à temps, sans quoi la sortie n'était plus forcément garantie. Ma réponse de l'époque fut de renvoyer mon planning d'astreintes de mon travail. Et deux semaines après, mon coeur, fatigué, me faisait le plus grand bras d'honneur qui soit en m'envoyant à l'hosto pour surmenage.

Je ne m'éternise pas trop sur ce dernier passage, mais, quand je me suis remis (ça nous amène à novembre), je me suis posé quelques grosses questions, aussi bien au niveau du boulot qu'au niveau de l'écriture. J'ai décidé, dans un cas comme dans l'autre, de lever le pied. Mais, dans un cas comme dans l'autre, le plus dur, c'est de s'y remettre. Pour le travail, ça a été plus facile que je ne le craignais : il faut bien manger, et, à la fin de mon arrêt maladie, j'y retournais, sans me poser d'autres questions. Juste apprendre à gérer le stress et la fatigue. Pour l'écriture, comme pour ce blog, en revanche... Outre la grande claque dans la gueule suite au comportement scandaleux des éditions Pierregord (oui, parce que, je ne vous ai pas dit, mais ils ont déposé le bilan sans être solvable pour créer une toute nouvelle maison d'édition, avec appels aux participations, et faisaient moitié lobbying sur la possession des manuscrits pour les auteurs ne voulant pas reporter leur collaboration avec eux sur la nouvelle société), j'avais aussi un peu honte par rapport aux gens qui, entre-temps, avaient acheté Mississippi et tentaient de faire vivre le jeu. Ça vous paraîtra idiot ou disproportionné, mais quand j'apprenais que Mississippi était masterisé en convention où je n'étais pas, je me sentais coupable, d'abandonner ma création et le peu de communauté qui s'était créée autour.

Et puis, je me suis dit, en décembre, "tiens, il faudrait que je fasse un billet sur le blog pour causer de tout ça". Et puis je me le suis dit. Et puis je me le suis dit. Et puis je me le suis dit... Et puis on est arrivé en fin février et je me suis dit "ah, oui, bordel, le temps passe, et l'envie aussi, hélas".

Quelques évènements, cependant, m'ont quand même assez titillé pour me dire que ce serait vraiment dommage de finir comme ça. Déjà, parce que je n'y prenais plus de plaisir sur la fin. Mais j'ai constaté que j'avais encore envie d'écrire. Du coup, me dire que, fondamentalement, j'ai foiré la gestion d'un plaisir... C'est un peu humiliant. A côté de ça, en particulier pour Mississippi 2, quand j'ai vu que le projet avait continué sa vie et que le planning des illustrations était bouclé, je me suis dit que c'était un peu juste scandaleux d'en rester là alors que 90% du supplément est écrit, damned.

Et, ce qui m'a le plus donné envie de me remettre le pied à l'étrier, c'est Bretteur, finalement. Un soir, ces derniers mois, dans un élan de motivation improbable, j'avais décidé de dire "merde" aux éditeurs et de repartir, comme avec Banshee!!! à l'époque, en auto-édition. J'ai mis beaucoup de choses personnelles dans ce manuscrit, je l'ai bouclé il y a bientôt trois ans, et cela me peinait vraiment de le laisser voir prendre la poussière au fond de mon disque dur. J'avais décidé, du coup, de proposer à Bastien et Nico, deux jeunes illustrateurs recrutés pour Saints & Sinners, de collaborer pour en faire une version illustrée, un vrai beau conte. Bon, forcément, quelques jours après avoir envoyé le mail, je me disais déjà que c'était peine perdue de se relancer, que ça ne tiendrait pas, que ça prendrait trop de temps et trop d'énergie, et, puis, là, une belle claque dans la gueule...

 (Illustrations couleurs de Bastien - http://bastien-chapon.ultra-book.com/ - , illustration N&B de Nico G - http://www.nicog.ch/ -)

Et là, j'me suis dit : "mais merde, ce serait trop con de laisser passer ça".
Bon, quelques jours après, entre la recherche de devis d'impression et le casse-tête de la mise en place d'offre Ulele, je me décourageais déjà, mais bon... J'imagine qu'après être monté de cheval, le mieux à faire est de remonter, mais ce n'est pas d'une facilité déconcertante, sinon tout le monde le ferait. Non ?

Bref, vous savez aujourd'hui pourquoi je n'étais plus là. Et vous savez aussi où j'en suis, à peu près.

Reste à voir si la monture sera docile : les terres où chevaucher, elles, restent sans nul doute pleines de jolies choses à faire et à voir. Je n'ai plus qu'à espérer me remettre rapidement en selle, et sans bobo.

8 commentaires:

  1. Et bien évidemment, tout mot d'encouragement, aussi petit soit-il, est le bienvenu (même s'il n'est pas beau de réclamer) :)

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  2. Alors tu as tous les miens, et si tu as besoin n'hésites surtout pas à me contacter pour l'édition ou l'impression, maintenant que je suis dans la place, je devrais bien avoir quelques astuces à partager ;)

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  3. Fan de la première heure de Mississippi, relecteur sur la seconde partie du projet et diablement (c'est le cas de dire) alléché par ce que j'en ai vu...

    Je n'ai qu'une envie, voir ce que tu as écrit sortir, même s'il me faut réaliser un pacte de minuit, au détour d'un croisement.

    Oh, je sais bien, que la flamme du blues et de l'écriture est comme une maîtresse volage, qui prend beaucoup et offre malheureusement peu. Mais quelle volupté, quel bonheur de s'abandonner dans ses bras.

    Comme toi, je me suis dernièrement posé pas mal de questions, plus trop l'envie, plus trop de Mojo. Mais comme le démon dans la bouteille, une fois qu'il vous tient, il ne vous lâche plus. C'est donc plus modestement que je m'y adonne, parce que le plaisir est toujours là, parce que l'envie aussi. Et même si le rythme n'est plus celui d'un steamer en pleine course, il avance tout de même sur les eaux redevenues placides d'un fleuve qui a connu la crue.

    Maintenant j'espère que ma bouteille lancée dans le fleuve attirera d'autres jiminy cricket, qui viendrons à leur tour à ton oreille te chanter la même chanson et raviver en toi la flamme, réduite certes, mais pas éteinte de la passion.

    Une déclaration d'amour, non, plutôt une déclaration de foi !

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  4. Eh bien bon courage Tirodem et merci pour ce témoignage touchant. Le surmenage n'est jamais loin pour les auteurs de jdr. Je comprends tout à fait ton ressenti par rapport à un boulot intéressant mais intellectuellement épuisant, qui n'aide pas à écrire le soir.
    Bon courage pour Bretteur, et en espérant que ça te remettra le pied à l'étrier !

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  5. J'ai acheté Mississippi, pris un grand plaisir de lecture mais pas encore eu l'occasion de le tester malheureusement...d'autant que le jeu me parait davantage orienté "campagne" et que faute de temps, je privilégie les one-shot dorénavant.

    Mais c'est du très, très beau boulot ! Bravo.

    Bad

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  6. Tu as évidemment tout mon soutien tiro. tu as remis le pied à l'étrier, il ne reste plus qu'à montrer à cette tête de mule de jument perfide qu'est la motivation qui est le chef. Alors remet ton chapeau, accorde ta guitare, vide ton harmonica, allume ton mégot en selle cowboy ! Si d'aventure tu repasses en Lorraine, prend une gratte, je fournis les bières fraiches et on laissera le flow du blues se répandre en nous.

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  7. Bon courage mon cher Christophe. Je n'ai pas nécessairement beaucoup de chose à dire, l'essentiel étant à mon avis que tu trouves ton juste équilibre et que tu arrives clairement à profiter de ce que tu veux. C'est pas facile de remettre le pied à l'étrier mais au fond si c'est ce que tu veux, tu vas le faire. On attends de tes news avec impatience, on en a parlé cet après-midi même avec Yoh.
    Donc courage et à bientôt ;)

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  8. J'espère que tout va mieux depuis l'écriture de cet article et que tu as réussi à t'entourer d'une équipe solide et soudée. Il me semble difficile de porter autant de projets riches et complexes seul. Dans tous les cas ! Courage ! Et au plaisir de te lire à nouveau... Je suis impatient !

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